Acculé par les manifestations, poursuivi par la justice, désavoué par les militaires, la marge de manœuvre de Samak Sundaravej s’est rétrécie dangereusement ces derniers jours. A tel point que beaucoup pariaient sur une démission ce matin. Et bien non, Samak a encore des ressources pour jouer avec les nerfs de ses adversaires. Il ne démissionne pas et entend même en finir avec l’APD
"Je reste" a annoncé Samak Sundaravej ce matin à la radio thaïlandaise dans un communiqué alors que beaucoup avaient misé sur une démission. Après avoir passé en revue ses sept mois à la tête des affaires du pays en pointant au passage les responsables des nombreux revers qu’a connus son gouvernement, Samak Sundaravej, a fait savoir qu’il acceptait la démission de son ministre des Affaires Etrangères, Tej Bunnag (voir encadré), mais lui, ne quittera pas son poste. (…)."Je ne démissionnerais pas, je ne dissoudrais pas l’Assemblée. Je doit rester en place afin de protéger la Démocratie et pour protéger la monarchie", a-t-il dit. "Si je démissionne, qu’y aura-t-il après ? L’APD imposera un nouveau régime politique avec seulement 30% du Parlement élu", a ajouté Samak. "Est-ce que le public peut accepter cela ?”
Sous pression de toutes partsLa marge de manœuvre de Samak Sundaravej s’est pourtant sérieusement rétrécie ces derniers jours, notamment depuis mardi lorsque le premier ministre a décrété l’état d’urgence à la suite d’affrontements entre partisans et opposants du gouvernement faisant un mort et plus de 40 blessés.Cette décision a tout d’abord été mal reçue par une bonne partie des Thaïlandais qui gardent en mémoire les émeutes sanglantes de 1976 et 1992. Sombres périodes de l’histoire thaïlandaise auxquelles le nom de Samak est d’ailleurs étroitement associé (voir ci-dessous). Le Commandant en chef de l’armée en charge de l’application du décret, le Général Anupong Paochinda, a d’ailleurs aussitôt fait savoir mardi qu’il privilégierait le dialogue plutôt que la force. Le chef des militaires s’est ainsi positionné en médiateur refusant de prendre parti pour les uns ou pour els autres, au grand dam de Samak qui comptait sur une action rapide et décisive contre le mouvement de protestation. Là-dessus, les leaders de l’Alliance du Peuple pour la Démocratie (APD), qui occupent le siège du gouvernement depuis 10 jours, ont indiqué qu’ils n’engageraient pas de dialogue avec qui que ce soit tant que le Premier Ministre n’aura pas démissionné. L’APD était toujours en place hier malgré l’état d’urgence et bien que la grève générale tant annoncée par le groupement syndical le plus important du pays ait fait long feu. Le PPP menacé de dissolutionSamak et son parti, le Palang Prachachon (PPP) ont par ailleurs été mis sur la sellette de la justice, juste après la proclamation de l’état d’urgence. Mardi, la Commission Electorale a en effet demandé à la Cour Constitutionnelle de considérer la dissolution du parti majoritaire de la coalition, le Parti Palang Prachachon (PPP), à la suite de la condamnation pour fraude en juillet d’un membre exécutif du parti, Yongyut Tiyapairat (voir ci-dessous). Quoiqu’il en soit, Samak a réaffirmé sa détermination à en finir avec le rassemblement de l’APD. Il a annoncé que les militaires tenteraient une approche en douceur pour disperser la manifestation, précisant que le gouvernement n’utiliserait pas de mesures violentes. Il a par ailleurs sommé les 9 membres dirigeants de l’APD de se rendre à la justice pour défendre leur cas.Samak, un personnage charismatique aux multiples facettes
Samak Sundaravej a débuté sa carrière de parlementaire en 1975 sous la bannière démocrate - celle précisément à laquelle il est aujourd’hui opposé. Depuis, il a assumé à plusieurs reprises des postes importants dans des gouvernements civils et militaires. Ministre de l’Intérieur en 1976, il a été fortement critiqué pour son implication dans l’une des périodes les plus noires de l’histoire politique thaïlandaise, lorsqu’au moins 46 personnes - certains rapports faisant état de plus d’une centaine - avaient été massacrées dans la répression d’un mouvement étudiant opposé au retour au pays d’un ancien dictateur exilé. Il était également vice-premier Ministre en mai 1992 lorsque les soldats avaient une nouvelle fois ouvert le feu sur des manifestants qui protestaient contre le gouvernement militaire d’alors. On prête à Samak Sundaravej des liens avec les militaires et le Palais Royal. Il avait fondé un parti en 1982, le Parti des Citoyens Thaïlandais, qu’il a laissé disparaitre pour rejoindre d’autres partis. Gouverneur de Bangkok de 2000 à 2004, son mandat n’aura pas marqué la capitale bien qu’il ait été élu avec plus d’un million de voix, un record jamais égalé dans des élections locales. Samak fait par ailleurs l’objet de d’enquêtes dans le cadre d’accusations de corruption et aussi de diffamation. L’opposition l’attaque également sur sa double activité de Premier Ministre et de présentateur télé dans une émission culinaire hebdomadaire. Bien qu’il soit connu pour ses ardents excès de langage lors des conférences de presse, il présente gentiment chaque semaine une émission culinaire traditionnelle. Samak avait fait campagne en se présentant comme un représentant de Thaksin Shinawatra. Au moment de son investiture, il se qualifiait lui-même, dans son rôle d’homme de paille de Thaksin, de rempart contre la transgression militaire.
L'APD, l'Alliance du peuple pour la démocratie
L’Alliance du peuple pour la démocratie est une coalition extraparlementaire de militants syndicaux, de milieux d’affaires et royalistes. L’APD, qui avait déjà malmené en 2006 le gouvernement de Thaksin Shinawatra, créant les conditions amenant au coup d’Etat, reproche à Samak d’être une marionnette de Thaksin. Après plus d’un an de sommeil le mouvement a refait surface en janvier dernier, après la victoire du parti de Samak Sundaravej aux élections législatives. Le 25 mai, l’APD a organisé le premier rassemblement de rue pour réunir 20.000 signatures s’opposant aux amendements à la Constitution proposé par le gouvernement. Ils campent depuis devant le siège des Nations Unies, et se sont déployés le 26 août sur les jardins du siège du gouvernement, couvrant le secteur entre les deux sites. Outre la démission du chef du gouvernement, l’APD souhaite modifier le système législatif en proposant un Parlement réduit à 100 sièges (contre 480 actuellement) dont 30% seulement seraient élus, le reste nommé. "Si l’APD reste inflexible et obtient ce qu’elle veut, elle ne s’arrêtera pas là", estime Thitinan Pongsudirak, analyste politique à l’université de Chulalongkorn. "En fin de compte, ils vont tendre vers l’extrême droite, ramenant la Thaïlande vers les années sombres"